
Après deux EP, Brother Junior vient de sortir son premier album "Loser not loser". L'occasion de rencontrer Jullien Arniaud aka Brother Junior qui nous parle de la genèse de l'album, mais pas que...
Interview par Cyrille Valette
Alors Jullien, on t'a connu dans The HOST, January Sons, tu accompagnes LEKØ... comment est né le projet Brother Junior?
Brother Junior : De façon assez simple, j'avais envie d'écrire des chansons et ne pas avoir de concessions à faire avec n'importe qui. J'avais pas forcément d'ambition à ce que ça
marche, même si on veut toujours se faire entendre du plus grand nombre, mais je voulais sortir de la dynamique de groupe et me dire si à un moment donné y a une ballade, ben y a une ballade, si
à un moment donné y a un morceau country et ben y a un morceau country, ne rien m'interdire.
L'idée de monter ton propre label Hey Bronco est venue en même temps?
Brother Junior : Depuis que je fais de la musique j'avais envie de faire un label, d'enregistrer d'autres groupes, mais j'avais jamais eu vraiment les clés. C'est arrivé
pendant la période du covid, on a été soutenu par le théâtre du Moulin où j'ai rencontré Thierry Calvier qui s'occupait des groupes émergents là-bas et en écoutant tout ce que je faisais, il m'a
dit "mais pourquoi tu ne montes pas ton label? Les deux idées se sont regroupées, j'ai donc fait mon label aidé par Thierry et le Moulin.
Le nom Brother Junior a-t-il un rapport avec le titre "Brother" de ton ancien groupe The HOST?
Brother Junior : Y a un truc ouais. Alors Junior c'est le surnom que me donnaient mon papa et mon frère quand j'étais petit et comme c'était un projet très personnel... Brother c'est pour le côté famille, c'est ce qu'on avait avec The HOST. En fait on était comme trois frères. J'aime dans un groupe avoir cet esprit là. Le morceau "Brother" je l'avais écrit pour Thomas (ndrl batteur du groupe the HOST) à l'époque où il était malade et donc oui c'est une espèce de continuité.


Après deux EP, "Beginner's luck en 2019 et Buck Up en 2022, enfin l'album! On l'a attendu!
Brother Junior : C'est vrai que c'est toujours plus simple de sortir des EP. Ça va peut-être plus vite, ça demande moins de temps pour l'enregistrement. En plus moi je suis
né dans les années 80 donc le concept de l'album c'est encore quelque chose. Y a un point de départ, un point de fin et évidemment entre, il faut qu'il y ait une histoire qui se raconte. La jeune
génération réfléchit peut-être différemment. C'est plus simple de faire des EP, mais là c'était le bon moment pour faire l'album. Bon c'est vrai que ça a pris du temps mais il est là!
Le nom de l'album "Loser not loser" a une signification précise?
Brother Junior : Il y a un an et demi j'ai fait un concert au Molotov avec Parade notamment, et à la fin du set, une spectatrice vient me voir et me dit c'était bien mais c'est marrant t'as un côté loser et pas loser. Ça m'a fait rire d'abord, parce que les gens viennent te voir et te disent des trucs parfois ... Comme cette fois on m'a dit "c'est rigolo t'as pas la voix de ton physique!" Tu sais pas comment tu dois prendre les choses. En tous cas moi ça me fait toujours rigoler, parce que ça ne part jamais d'un mauvais sentiment en fait. Ça m'a fait réfléchir et puis la période dans laquelle j'étais, ben ça faisait sens, ce côté loser dans la mesure où je luttais contre mes angoisses (et cela dure depuis des dizaines d'années) et dans le même temps, on était dans une belle tournée avec plein de monde tous les soirs et de bons retours. J'ai bien aimé ce contraste loser not loser et puis c'est vrai que sur scène j'aime bien ce côté pince sans rire. Je prends au sérieux ce que je fais bien évidemment mais quand tu es en public, c'est bien aussi de ne pas se prendre au sérieux. D'où la pochette aussi qui est faîte pour interpeler et faire rire.
Où a été enregistré l'album?
Brother Junior : Dans le Champsaur, dans une vieille bergerie que l'on a reconvertie en studio chez mon pote Jean Greco qui est le bassiste de Brother Junior et qui est aussi ingé son. Au début on avait réfléchi à travailler avec des "réal", mais c'était compliqué en terme de budget, de disponibilité et puis je me disais est-ce que je vais vraiment avoir ce que je veux? On a bien discuté avec Jean et on s'est dit "allez on le fait tous des deux". On a fait ça en plein hiver dans cette bergerie où on a dû installer un poêle, il a fallu isoler, passer de deux degrés le matin à vingt en fin de journée avec des couvertures chauffantes... Mais c'est un super souvenir du coup car comme t'accouches de chansons qui parlent vraiment de toi, je trouve que le processus est bien. Si c'est trop facile c'est pas marrant. On l'a réalisé à deux, Jean pour toutes les parties techniques et du moment où on a commencé à répéter jusqu'à ce que les mixes soient finis, ça a pris quasiment un an.
Comment composes-tu? C'est d'abord un riff, une mélodie? Ou plutôt une idée de texte que tu décides de mettre en musique?
Brother Junior : La composition je vois ça vraiment comme de l'artisanat. Tu vois comme un ébéniste qui va travailler tous les jours, moi aussi tous les jours je travaille, j'écris quelque chose, je le mets dans un coin pour plus tard si je ne suis pas en période d'album. Généralement c'est à la guitare, soit une suite d'accords soit un riff. Très rapidement j'essaie de mettre des petits mots, ce qui résonne avec le riff, une histoire que j'ai envie de raconter.
Justement tu abordes des thèmes très personnels dans certains de tes textes. Tu parles de ta compagne depuis plus de 20 ans, de tes crises
d'angoisse...
Brother Junior : Pour mon amoureuse, c'est vrai que ça fait plus de 20 ans, et c'est un de mes trucs préférés d'essayer de lui
écrire des chansons et que ça lui plaise. Là, en plus le titre Not lovesick anymore est arrivé à la fin de l'enregistrement, il n'était pas composé au début. Le riff est arrivé et je me
suis dit "Tiens c'est rigolo, ça me fait penser à Lovesick de The HOST". Un titre que j'avais écrit à propos d'une relation amoureuse à l'époque et qui m'avait plongé dans mes
fameuses crises d'angoisse. Enfin c'était l'un des facteurs déclencheurs. Du coup je me suis dit tiens ça peut être rigolo d'avoir les deux côtés, de boucler la boucle.
Et mes crises d'angoisse, j'en parle dans plusieurs morceaux. Little victories par exemple parle du processus quand tu travailles avec une psychologue. Au début t'as l'impression que ça ne marche pas puis d'un coup t'as un petit truc qui te fait dire "tiens c'est vrai, ça fait cinq mois que j'y suis et il se passe quelque chose". Des petites victoires qui petit à petit te font aller mieux. A un moment donné, je ne pouvais pas ne plus me confronter à tout ça, avancer et puis forcément écrire là-dessus.
Y a des thèmes plus légers aussi? Je pense à "Death by dance" par exemple.
Brother Junior : Oui, Death by dance, c'est plus comme quand tu te retrouves avec tes potes et que tu vas passer la soirée à t'amuser, rigoler, te dire que tout est possible, faire des conneries... Après y a aussi ce truc de se dire "laisse-toi aller et vis ta vie". Mais c'est vrai qu'en première lecture, c'est plus "Allez on va aller danser jusqu'à en mourir". J'ai essayé de mettre un vernis assez léger sur l'album. J'ai pas envie qu'on en ressorte en se disant "putain c'est la déprime!" C'est pas le but. Au contraire, il faut voir le côté positif. Franchir le cap de se dire "je dois être aidé et j'accepte d'être aidé" a été long pour moi. Et c'est important. Alors si cet album-là, à un moment donné, parle à des gens qui se disent "ça marche", parce que oui, ça marche, on n'est pas obligé de continuer à sombrer, ben c'est cool.
Comment définirais-tu le style de Brother Junior?
Brother Junior : Pour résumer, c'est du rock. J'ai tendance à dire indie rock ben tout simplement parce qu'on n'est pas chez des majors. Après moi j'écoute beaucoup de folk, de country,
de rock dans tous les sens. C'est un mélange entre rock et folk avec un côté americana.
Justement, tu as des influences revendiquées?
Brother Junior : Oui, la plus naturelle c'est Neil Young. Des textes incroyables, tu peux passer d'un morceau folk à un morceau avec de la fuzz de partout, j'adore ce genre de mélange. Pour l'album j'ai beaucoup écouté Boygenius, Andrew Bird, The Staves, Wilco, je suis fan de Wilco et de Jeff Tweedy. J'ai toujours adoré écouter de la musique. Alors avant c'était aller au Virgin et acheter des CD et des vinyles. Maintenant c'est beaucoup par les plateformes de streaming, mais au moins j'écoute de tout. Après, quand je trouve quelque chose qui me plait, je peux l'écouter pendant trois mois en boucle, ce qui rend dingue à la maison. Ce qui est rigolo, c'est que mon fils, qui a commencé la guitare il y a quatre ans, devient comme ça, quand il a un groupe, c'est non-stop.
Une version vinyle de Loser not loser est attendue pour début septembre. Une histoire de délai je présume?
Brother Junior : C'est ça. En fait, l'album devait sortir déjà il y a un an, puisqu'on avait cette belle date au festival Jardin sonore en première partie de Queens Of The Stone Age. Malheureusement, ça a été annulé à la dernière minute pour les raisons que l'on connait (ou pas). Du coup, on a décalé la sortie pour que ça coïncide avec des dates. On ne devait pas sortir de vinyle, puis j'ai eu une aide et le temps de mettre tout ça en place, plus l'été au milieu, on ne l'aura que début septembre. L'essentiel c'est de l'avoir.
Les clips de Brother Junior sont particulièrement réussis, je pense surtout à "Death by dance" et "I desserve love" (mon préféré). Un nouveau est-il prévu? Pour accompagner un futur single?
Brother Junior : C'est en discussion. Il y en aura un, c'est sûr, peut-être à la rentrée. Je travaille avec Jérôme Sivien qui a fait les deux clips que tu as cités, il a fait les photos de Buck Up et de Loser not loser, il faisait déjà les photos et clips de January Sons. C'est un super photographe, vidéaste et vraiment un pote. Lui, il est sur Paris et bosse pas mal, donc c'est un peu compliqué d'accorder nos emplois du temps. Là pareil, on essaie de trouver un côté un peu rigolo, visuel. C'est souvent des idées de Jérôme, je lui laisse carte blanche, j'ai une grande confiance en lui. En tous cas, merci, content que ça te plaise.
J'ai vu Brother Junior sur scène en solo, en trio et même en duo avec ton fils. Là, il y a une belle date qui arrive au festival Jardin sonore en juillet. Vous serez combien sur scène ?
Brother Junior : Nous serons quatre. On était trois pour la tournée des Stranglers. Julie, qui était à la batterie et qui est une très bonne guitariste aussi, est passée à la guitare, Philippe qui remplaçait Julie quand elle a été absente deux-trois mois est du coup à la batterie, Jean à la basse. Ils sont tous les trois aux chœurs et moi, au reste. Quatre, c'est bien, je suis très content du résultat, on rend bien honneur à l'album.
Au fait, comment t'es-tu retrouvé à faire un set avec ton héritier ?
Brother junior : Alors j'ai deux enfants, mon fils de 17 ans et ma fille qui va avoir 13 ans. Mon fils a voulu se mettre à la guitare il y a 4 ans et je le trouve assez doué (j'essaie d'être objectif). Du coup, tu te retrouves à la maison, tu essaies des trucs, lui t'aide à tenir les accords derrière, puis il a enregistré sur l'album, des guitares, des pianos, des percussions, il a envie de composer... Là il avait très envie de monter sur scène, donc je lui ai dit "Allez c'est le moment parfait, un showcase à Lollipop, ce sera là ton premier concert à Marseille." Et il est beaucoup plus à l'aise que je ne l'étais à son âge. Et puis je suis fier. Ma fille a enregistré aussi des voix sur le dernier morceau de l'album, c'est elle qui fait les chœurs avec moi. Super fier et heureux que mes enfants soient là avec moi.
Sur scène, tu aimes les deux formules ? Solo et groupe ?
Brother Junior : Ouais, les deux. J'adore jouer en groupe, avoir cet esprit de famille et partir en tournée, ça fait toujours de supers expériences. Et solo t'as un espèce de truc très proche avec les gens et j'ai vraiment l'impression de me mettre à nu. J'aime vraiment les deux cas de figure. Après solo, je n'ai joué que sur Marseille. Je suis pas sûr qu'une tournée de quinze dates, ce soit aussi hyper agréable, c'est plus facile de partir en groupe.
Quand on voit ton parcours avec The HOST et des premières parties de Shaka Ponk, Johnny Winter, Skip the Use, Eiffel, The Shoes, mais aussi avec Brother Junior et cette tournée en première partie des Stranglers, on aurait tendance à penser "c'est bon pour lui". Or il semble que ce soit un perpétuel recommencement pour trouver des dates (y compris sur Marseille) , défendre ses disques sur scène. C'est la partie la plus rude, mais nécessaire. Toujours aussi motivé ?
Brother Junior : C'est dur. Tu batailles pendant 15 ans avec ces tournées pour te faire un réseau, pour certains tu deviens trop "gros", et pour d'autres tu es toujours trop "petit." L'âge aussi, j'ai 43 ans, je ne fais plus partie des jeunes. Parlons franchement, à Marseille pour les festivals rock locaux, soit je suis trop vieux soit on ne m'appelle pas. Certaines salles ne te répondent pas non plus. Du coup, quelque part, tu te remets un peu en question. Je sais pas trop. Quand t'as l'impression d'arriver à un palier, tu te dis qu'il y a des choses qui sont acquises; ben non, tu te bats toujours. Ces derniers mois ont été difficiles. C'est complexe, mais en tous cas, non je ne lâche rien, c'est mon métier, ma passion, et tant que j'ai des choses à dire...
Sur scène, je suppose que Loser not loser aura la part belle, mais sans dévoiler la setlist, tu continues de jouer des titres des deux précédents EP ?
Brother Junior : Alors le premier, pour l'instant, on en a pas trop mis. Le deuxième, il y a bien sûr I deserve love qu'on prend toujours autant de plaisir à jouer, je
crois qu'il y a aussi My oh My. Dans les nouveaux morceaux, il y aura aussi un ou deux titres que l'on a enregistrés, mais qui ne sont pas sur l'album. Parce que ça ne
faisait pas sens avec tout le reste, mais il se peut qu'ils sortent en 2026. Et puis vu que Julie a rejoint le projet maintenant en tant que guitariste, on a plus de possibilités
et dans l'avenir oui, il y aura de tout.
Pour terminer, puisque Marseille alive parle de la scène marseillaise, peux-tu nous dire si tu as un coup de cœur ou si il y a des groupes que tu suis particulièrement? Bon, j'imagine que tu vas me dire Rahewl qui est très actif sur la scène marseillaise, qui est sur ton label Hey Bronco et de qui tu sembles très proche.
Brother Junior: Oui, ben ce que j'essaie de faire avec Hey Bronco, c'est garder cet esprit de famille comme dans chacun de mes groupes. Pour défendre un artiste, il
faut que je l'aime, et Léo, enfin Rahewl, c'est encore cette pépite qui n'est pas assez représentée, pas assez mise en avant. Là, en tous cas, avec le nouveau line-up c'est terrible!!!
Après j'essaie d'écouter un peu tout pour rester à la page. On a de supers musiciens et de supers groupes. J'aime beaucoup Avee Mana, l'équipe qui s'occupe des Pollen Sessions, Laphigue, Crache,
Parade, en plus Jules, c'est un personnage, j'aime travailler avec lui sur ses morceaux solos. Tessina aussi je trouve ça fantastique et Hyper original.
Y a plein de choses à Marseille. Après qu'on en soit encore tous les 5 ou 6 ans à dire "Tiens y a du rock à Marseille!". Ben oui! J'ai pas l'impression que dans les autres villes il y ait un article tous les 5 ou 6 ans qui dit "Tiens y a du rock à Cherbourg!".
Ce qui est bien c'est qu'il a plusieurs groupes qui tirent leur épingle du jeu, ça avance, on s'exporte. Il y a trop de groupes qui restent centrés sur Marseille, malgré eux souvent, mais c'est tellement bien et enrichissant aussi de jouer hors Marseille.
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